Rollot et ses hameaux
- La Seigneurie de Rollot -
Chapitre 2
Maxime de Sars

 

On vient de voir que la Villette est l’agglomération la plus ancienne du terroir communal. Rollot est sans doute une création du douzième siècle, sa forme, dite « ouverte », par opposition aux villages fermés ou concentriques, l’apparente à toutes les localités fondées à cette époque, « villes franches » ou « villes neuve»  que formaient les seigneurs, pour faciliter la mise en valeur de leurs domaines, en attirant les cultivateurs par l’appât d’un régime social plus libéral et d’une distribution de terres.

Le maire de Rollot établit les nouveaux venus tout le long du chemin de Montdidier à Ressons, de part et d’autre de son château, qui se dressait sur une motte, entourée de fossés, dont on retrouve des traces près de l’église qui devait devenir une annexe de la paroisse de la Villette, après avoir été sans doute une chapelle castrale.

Le nom de ce village apparaît pour la première fois vers 1158 sous la forme latine de Rotincia et sa traduction française, Rooloth. On trouve Roolots en 1206, Roolai en 1214, Roeloth et Roheloth en 1229, Roolot en 1249, Roelot en 1256, Roollot en 1384, Rolot en 1449, enfin Rollot en 1518. La présence d’une lettre doublée dans les graphies les plus anciennes laisse supposer une contraction. Rotincia doit venir du latin rote, roue, qui a donné le verbe las lati rotulare, rouler, d’où routier, roulage, en souvenir des chemins qui se croisaient en ce lieu. Dom Grenier paraît préférer, mais sans raison, l’étymologie Regia leuga lieu royale, la localité se trouvant à deux lieues environ de Montdidier (1).

Le Santerre avait été abandonné avec les comtés de Vermandois et de Valois au Roi Philippe Auguste, en 1191 par la comtesse Aliénor, qui s’en réservait l’usufruit, et définitivement uni à la couronne, après sa mort en 1214. Les anciens feudataires du comte reconnurent dorénavant le Roi pour suzerain direct, à cause de sa salle à Montdidier.

Le plus important d’entre eux était le seigneur de la Tournelle dont l’autorité s’étendait sur une partie de cette ville et de la banlieue le manoir chef lieu, qui se dressait face au presbytère de Saint Pierre, fut démoli en 1474. Les terres de Rollot, Mortemer, Mervillers, la Villette, Faverolles, Etelfay, Villers, le Mesnil et le Monchel ainsi que la prévôté de Saint-Just dépendaient de ce fief, qui devait prendre par la suite le nom des Grandes Tournelles. Il en relevait trente deux arrière fiefs. Par contre, la seigneurie de Vaux (hameau de la commune du Frestoy-Vaux, Oise, mouvait de Rollot (2).

Pierre de la Tournelle est le premier personnage auquel remonte la généalogie de cette puissante famille. Il fit bâtir vers 1150 la chapelle de Sainte Madeleine à l’angle nord ouest de la chaussée romaine et du chemin de Ressons. Il souscrivit en 1163, avec son cadet Rogues un accord dont les parties adverses étaient les moines de Saint-Martin-aux-Jumaux d’Amiens et plusieurs habitants d’Ételfay.

Ses deux fils lui succédaient tour à tour dans la seigneurie de Rollot. Le rôle des vassaux de l’abbé de Corbie, établi vers 1158, cite le nom de Robertus de Rotincia dit Rooloth qui était son homme comme l’avait été ses ancêtres (3) Robert mourut sans postérité, laissant pour héritier son frère cadet.

Rogues était l’avoué des moines de l’Abbaye de Saint Corneille de Compiègne pour leurs terres de Mesvillers, Faverolles et Pronastre, probablement à l’exemple de ses aïeux, c’est à dire qu’il était tenu de les défendre, et de faire exécuter les sentences criminelles de leur juge, en un mot de répandre le sang, ce qui était interdit aux clercs; mais beaucoup de ces défenseurs laïques abusaient de leur force et se transformaient en tyrans. Le pape Alexandre III dut écrire, le 29 mars 1170, à l’archevêque de Reims pour le prier de protéger les religieux de Saint Corneille contre les empiétements de leurs ennemis, les bourgeois de Compiègne, l’abbé de Saint Memmie de Chalons sur Marne et enfin le seigneur de la Tournelle, qui dévastait les villages dont il était le patron et l’avoué, en les menaçant de l’excommunication. Cette même année, Rogues assistait à une transaction passée à Montdidier entre l’abbé de Corbie et Rogues de Roye au sujet du village de Monchy.

Une chartre de 1189 énumère ses 7 enfants, Robert, Pierre, Raoul, Rogues, Alice, Egline et Philydone, un huitième naquit sans doute par la suite, Renaud, sire de Montataire, chevalier qui vivait en 1256. Les charges de l’avouerie étaient compensées par un droit de jouissance sur une partie des revenus. Cette copropriété avait souvent besoin d’être précisée. Rogues était sans doute très âgé quand il renonça avec son fils aîné, en 1200, à toutes les exactions et à toutes les taxes arbitraires qu’ils levaient sur les hommes de l’avouerie, elles furent remplacées par une redevance annuelle de 10 livres, que devaient se répartir entre eux les habitants des trois villages, avant de les payer à l’avoué et à l’abbaye pour moitié le jour de la Nativité de Notre Dame (8 septembre) les collecteurs chargés de la perception seraient aidés par les maires de Saint Corneille et le prévôt de l’avouerie. Rogues mourut peu après.

 

Robert I de la Tournelle

Robert, seigneur de la Tournelle, chevalier, et Marie, sa femme, mirent fin au mois de mai 1201, à une nouvelle discussion surgie au sujet du droit de justice de l’avouerie et de la vicomté, ainsi appelait-on souvent en Picardie la juridiction foncière. Dans les villages de Mesvillers, Faverolles et la Villette, il fut décidé de commun accord que la justice serait rendue à l’avenir en commun, les amendes et le produit des confiscations étant partagés par moitié avec l’abbaye, à l’exemple des autres revenus, sauf dans les maisons des maires abbatiaux, les fermes du monastère, les cimetières, les terres des églises, les carrefours ou places publiques qui demeuraient la propriété des moines ; des sergents communs devaient prêter serment de veiller fidèlement aux intérêts des deux parties confiées à leur garde ; c’étaient eux qui exécutaient les condamnés à mort où à la mutilation après qu’ils eussent été livrés nus à l’avoué.

Le fils du seigneur, nommé aussi Robert et déjà chevalier, approuve cet accord, de concert avec sa femme Marguerite. Cinq ans plus tard, Robert I établit des clercs au nombre de trois pour desservir la chapelle bâtie par son aïeul (voir chapitre V) contraint par l’abbé de Saint Corneille de se soumettre en 1213 à l’arbitrage de plusieurs prud’hommes présidés par le bailly royal Renaud de Béthisy, il dut payer au monastère des droits de vente pour une de ses terres où celui-ci percevait dîme et terrage, les moines purent enclore, sans qu’on s’y opposât, leurs cultures de murs ou de fossés, à la condition toutefois de ne pas intercepter les chemins, et les habitants de chacun des trois villages choisirent librement un messier garde champêtre chargé de surveiller leurs récoltes après avoir prêté serment aux deux pouvoirs. L’année suivante il prit part à la bataille de Bouvines le 27 juillet. Les rôles le placent en tête des chevaliers bannerets du Vermandois avec son frère Raoul, on le voit encore confirmer, au mois de mai 1231 avec sa femme, son fils et son gendre, l’accord de 1213 en reconnaissant qu’ils n’ont aucun droit sur les taxes que Saint Corneille percevait lors des cessions à titre onéreux des terres situées dans sa seigneurie de la Villette.

Des sceaux de 1200 à 1211 montrent Robert I en armure galopant sur son cheval, l’écu chargé de ses armoiries parlantes, cinq tourelles crénelées, posées une, deux et deux.

Le premier scellé une donation à l’hôtel Dieu de Beauvais d’une rente de vin à « Rotheleux » pour la réfection des pauvres (4).

 

Robert II de la Tournelle

Robert II, sire de la Tournelle, chevalier confirma au mois de mai 1256 l’aumône faite par ses « anchisseurs » au prieuré de Wariville de deux mids de blé à prendre chaque année sur sa grange de Roslot, et deux autres sur ses rentes de Rotheleux, pour le repos de son âme et celle de ses frères. On voit par un sceau de cette même année qu’il modifiât son écu en remplaçant les cinq « tournelles » deux deux et une. Il vivait encore en 1261

 

Robert III de la Tournelle

Le troisième seigneur du nom de Robert engagea un procès contre ses vassaux de Montdidier au sujet d’une ordonnance sur les monnaies, et le parlement lui donna tort au mois de novembre 1278. C’est sans doute lui qui fut convoqué au ban levé par Philippe le Hardi, six ans plus tôt, avec les autres chevaliers de la prévôté de Montdidier (5). Il vivait en tous cas en 1280.

 

Jean de la Tournelle

De sa femme Hélisende de Maignelay il laissa un fils, Jean seigneur de la Tournelle, chevalier qui vendit aux maïeur échevins de Montdidier, en 1289, tous ses droits seigneuriaux dans la ville et la banlieue à la réserve de ses fiefs, manoir et vivier. En faisant en 1294 un échange de terres avec la maladrerie de Montdidier, il stipula qu’on devait y recevoir les lépreux de Rollot dont il était Seigneur.

Il amortit en 1301 un domaine donné aux chanoines de la Madeleine et périt à la funeste bataille de Courtrai, dite des éperons d’or, gagnée par les Flamands, le 11 juillet de l’année suivante, où l’on put voir, suivant un pittoresque chroniqueur « toute la noblesse de France, gésir en de profonds fossés la gueule bée et les grands destriers, les pieds amont et les chevaliers dessous ».

 

Robert IV de la Tournelle

Jeanne de Champeing, sa veuve, et Robert sire de la Tournelle, son fils aîné, baillèrent en 1307 aux chanoines de Rollot les arrérages du legs de Robert III et d’Hélisende de Maignelay. Robert IV mourut prématurément en 1309, peu après avoir rendu (3 mai) une sentence en faveur des religieux de Visigueux, à qui les habitants de Tartigny disputaient le droit de chasse, et fut inhumé dans l’église d’Ourscamp, à côté de plusieurs des siens, vis à vis la porte du chapitre.

Il avait épousé Marie, dame de Fenières, aujourd’hui Fignières, et de Boussicourt, qui pourrait bien être la fille de Guillaume de Préaux, seigneur de Fignières, dont la pierre tumulaire se voit dans l’église de ce village. Dame Marie contracta une nouvelle alliance avec Florent de Varennes, chevalier, seigneur de Grandville. Robert IV avait une sœur, Marguerite, mariée à Robert, seigneur d’Equennes, Vicomte de Poix, tué à la bataille de Mons en Quelle en 1304, puis à Gilles, seigneur de Soyescourt, grand veneur de France.

On a trouvé en 1899 dans une maison de Rollot des fragments d’une dalle funéraire une pierre bleue, où l’on distinguait l’image d’un chevalier gravée au trait, l’inscription n’était plus lisible, mais l’écu aux tours qu’il portait permettait de l’attribuer à la famille de la Tournelle (7).

 

Jeanne de la Tournelle

La Fille unique du dernier représentant de ce nom, Jeanne de la Tournelle, entra dans une famille particulièrement illustre, peut être la plus glorieuse et la plus ancienne de France, car elle a donné en neuf cents ans qu’elle s’est maintenue deux sénéchaux, six connétables, douze maréchaux, trois amiraux, etc... et en sa faveur cinq duchés pairies ont été érigées. Jean de Montmorency, seigneur de Beaussault, son premier mari, fils aîné d’Érard, Chevalier seigneur de Conflans et autres lieux, grand échanson de France et de Clémence de Muret, dame de Breteuil en Beauvaisis et de Beaussault dans le pays de Bray sa seconde femme, appartenait à une branche cadette. Le Roi Philippe VI, à peine parvenu à la couronne, l’envoya avec le sire d’Aubigny et deux de ses conseillers, sommer à Windsor, en 1329, le roi d’Angleterre de lui faire hommage. Il mourut après avoir fait son testament au mois de décembre 1337, laissant un fils en bas âge, et sa femme veuve, remariée à Nicolas d’Estouteville, seigneur d’Ansebot, eut un second fils de nouvelle union. Elle vendit en 1351 une partie de la rente de 237 Livres que devait la ville de Montdidier depuis la cession de 1289.

 

Jean de Montmorency

Jean de Montmorency, chevalier, seigneur de Beaussault, de Breteuil, de la Falaise, des Tournelles et du Plessis Cacheleu, demeuré sous la garde de sa mère, jouissait de la bienveillance de Philippe VI, qui lui fit don de 4 000 livres (plus d’un million de notre monnaie dépréciée) lorsqu’il convola en 1344 avec Isabeau de Nesle, dame du Plessis Cacheleu, fille de Jean, seigneur d’Offemont et petite fille d’un maréchal de France. Après la mort de ce roi, son fils Jean le Bon l’appela à servir dans son Ost en 1350, avec les autres barons de Vermandois. Lors des guerres de Saintonge, le sire de Beaussault donna quittance de ses gages à Poitiers, le 4 novembre 1356, scellant d’un sceau à ses armes (d’or à la croix de gueules, cantonnée de seize alérions d’azur, brisé d’un franc quartier d’argent chargé d’une étoile de sable). Il prit part au siège de, Saint Valéry qui dura huit mois (1358-1359) et figura en qualité de chevalier banneret, avec trois autres chevaliers, cinq écuyers et un archer armé de sa compagnie, à la montre des gens d’armes du diocèse de Rouen en 1364. Il mourut peu avant 1367.

 

Hugues de Montmorency

Hugues de Montmorency, seigneur de Beaussault, de Breteuil et de la Tournelle, son fils aîné, eut cinq frères et soeurs. Pierre, seigneur du Plessis Cacheleu, vivant en 1424, marié à Marguerite, dame de Dommart sur la lance, veuve du seigneur de Villiers (dont une fille) et à Marie De Quincampoix, veuve de Jean des Quesnes, dit Carados, chevalier, Jean, mort jeune semble-t-il, Antoine, chanoine et trésorier de l’Église de Beauvais en 1417, Jeanne, alliée en 1381 à Robert de Hellande, seigneur de Hellande en Caux et de Lamberville, remariée à Jean de Raineval, seigneur de Méraucourt et de Tronay, enfin Marguerite, religieuse à Fontevrault et grande cellérière, élue abbesse en 1433, décédée le 4 avril 1434. Avant de prendre le voile Marguerite, demoiselle de Beaussault, demeurait à Rollot quand elle vendit en 1384 aux exécuteurs testamentaires de Raoul d’Ailly, qui avait fondé une prébende vicariale dans la cathédrale d’Amiens, le manoir de Vaussoir avec les prés, terres et bois en dépendant sur le terroir de Roye en Vermandois, aujourd’hui Roye-sur-Matz.

Hugues de Montmorency reçut le 15 juillet 1367, l’aveu et dénombrement qu’un chanoine de Rollot, Pierre Danmery, lui présenta d’un fief mouvant de la Tournelle de Montdidier. Six ans plus tard, il était en procès devant le parlement avec Nicolas d’Estouteville, frère utérin de son père, au sujet de la succession de la Jeanne de la Tournelle. Il mourut le 2 mai 1404 et fut inhumé dans l’Abbaye de Breteuil, à gauche du maître autel de l’église, sous une statue que fit élever sa veuve, Jeanne d’Harcourt. Celle-ci était la fille et héritière de Guillaume, seigneur de la Ferté Imbault, et de Blanche de Bray, dame de Cernon, sa première femme.

 

Jean II de Montmorency

Il laissait 4 fils : Jean, qui lui succéda, Antoine, armé chevalier à Saint Martin le Gaillard en 1419, tué en 1424 à la bataille de Verneil, Louis, tué à Azincourt en 1415, Hugues, fait chevalier et tué à Verneil, et cinq filles : Catherine, que nous verrons porter Rollot à la maison de Roye; Blanche, morte sans enfant, de ses deux alliances avec son cousin Robert d’Harcourt, seigneur de Beaumesnil et de Guillaume des Quesnes, Marie religieuse à Fontevrault prieure de Tusson, puis cellerière de l’Abbaye, élue abbesse à 60 ans et morte le 12 février 1461, Marguerite femme de Jean, seigneur des Autels et de Villers Bocage, puis de Jean de Belloy, seigneur de Candas, et Jeanne, dame de Ferrières et de Russicourt, qui épousa en 1401, Jean de Raineval, seigneur de Mérancourt et de Tronoy.

Jean de Montmorency, seigneur de Beaussault, de Breteuil et de la Falaise, châtelain de Nesle, naquit à Beaussault en 1387. L’interminable guerre appauvrissait la noblesse, il dut emprunter en 1409 à divers particuliers de Conchy-les-Pots, 436 livres parisis (45 000 environ de nos francs) et se décida 4 ans plus tard, à vendre pour 2 000 livres au collège des Cholet à Paris, deux bois sis à Roye sur Matz et à Tilloloy. Armé chevalier en 1411 par le connétable de France devant le château de Domfront, il demeura fidèle à Charles VII et le roi anglais Henri VI donna en 1423 sa châtellenie de Breteuil et ses autres biens du Beauvaisis à un chevalier d’outre manche, grand maître d’hôtel du régent Bedford, que les anciens généalogistes appellent Jean d’Essacolt. Jean tomba en « débilité d’esprit » sous la tutelle de sa sœur Catherine et mourut après 1426 sans s’être marié (8).

 

Catherine de Montmorency

Catherine de Montmorency hérita des principales seigneuries familiales, après la disparition de son dernier frère. Elle était déjà veuve en 1416, avec une fille nommée Marie, d’un normand, Laurent seigneur de Sainte Beuve, de Montigny sur Andelle et de Cuverville, fils de Jean de Sainte Beuve, dit Tiercelet. Elle se remaria à Mathieu de Roye, chevalier, seigneur de Roye, Muret, Gerniny, Buzancy, Lannoy, Epagny et le Plessis. Le sire de Roye était devenu le chef de la plus illustre famille du Santerre connue depuis Evrard, seigneur du même lieu en 1095, un blason très simple (de gueules à la bande d’argent) cimé d’une hure, témoignait de l’antiquité de cette race. Jean de Roye, chevalier, seigneur d’Aunoy de Muret, de Chérizy, du Plessier et de Crapaumesnil, conseiller et chambellan du roi, avait eu Mathieu de son premier mariage avec Jeanne de Béthune. Le second époux de Catherine était veuf, Marguerite, fille du seigneur de Ghistelles en Flandre lui avait donné un fils et trois filles, sous le commandement du comte de Saint Pol, gouverneur de Picardie, il avait été un des plus actif chef de bande qui se dressait contre l’anglais envahisseur. Prisonnier à Azincourt en 1415, il n’avait recouvré sa liberté qu’en échange d’une lourde rançon, dont le paiement donna lieu à plusieurs différents. La mort de sa cousine lui permit de recueillir la succession de sa maison. Par la suite, il prit parti pour le duc de Bourgogne, et celui-ci le députa en 1435 au traité d’Arras, qui devait lui donner le bassin de la Somme, y compris Rollot avec la prévôté de Montdidier. Cette paix n’arrêta pas les hostilités sur la nouvelle frontière des deux états. Trois ans plus tard, le fils aîné du sire de Roye inquiétant les bourgeois de Montdidier, le seigneur de Mouy, capitaine de Clermont, envoya ses gens qui s’emparèrent de la forteresse de "Raoulet" et s’y installèrent, mais la ville était sous la protection du comte d’Etampes, et celui-ci dépêcha à son tour des hommes d’armes sous la conduite de Waleran de Moreuil et de Guy de Roye pour reprendre le château, la garnison s’étant rendue vingt à trente des défenseurs furent pendus. Mouy continua à combattre les Bourguignons qui répondirent à ses attaques « et par ainsy, conclue le chroniqueur Monstrelet, toutes les marches à l’environ, d’un costé et d’aultre, furent escilliées (saccagées) et gastées, et eurent plus à souffrir que devant et durant plaine guerre ». Le château de Rollot était posé sur une motte que l’on voit au milieu du village, avec des vestiges de fossés, après sa disparition, la chapelle castrale, placée au pied de la motte, servit d’église de secours, au midi de la ferme seigneuriale (9).

Mathieu de Roye mourut peu après en 1440 et fut inhumé à l’Abbaye d’Ourscamp. Catherine de Montmorency lui survécut jusqu’en 1455 et fini ses jours au château du Muret, après avoir fait son testament le 5 juin de cette année.

 

Jean de Roye

Du second lit était né Jean de Roye, chevalier de l’ordre de l’étoile, et Jeanne, qui se trouvait veuve en 1493 de Jean de Sainte Beuve, seigneur de Vendeuil. Jean était encore mineur quand son père lui donna en 1440 les terres de Muret, Buzancy et autres situées en soissonnais; se mère lui céda aussi Beaussault avant 1449 en s’en réservant l’usufruit, et lui laissa en mourant la Ferté Imbault, la Tournelle de Montdidier et Rollot, conseiller et chambellan de Louis XI, héritier en 1463 de son demi-frère Guy, chevalier de la Toison d’or, qui lui léguait Roye et Germigny, il devint un des plus puissants seigneurs de Picardie. Il mourut avant 1489, après s’être marié 2 fois. Veuf de Blanche de Brosse, fille de Jean, seigneur de Saint Sévère, maréchal de France, et de Jeanne de Naillac, dont il avait une fille mariée au bâtard de Nevers, il avait contracté une nouvelle alliance avec Marguerite du Bois, dame de Barlin, fille de Jean, seigneur des Querdes, et de Catherine de Caumesnil, sa première femme. Marguerite du Bois demeura veuve et se remaria à Olivier de la Vernade, seigneur de la Bastie.

De la seconde union de Jean de Roye naquit un fils, Antoine, sire de Roye, Muret, Buzancy etc. qui fut émancipé en 1489. Le 5 novembre 1505, il épousa dans l’église abbatiale de Braine, Catherin de Sarrebruche, fille de Robert, comte de Braine et Roucy, damoiseau de Commercy, et de Marie d’Amboise. Il fut tué sur la fin de la bataille de Marignan, le 13 septembre 1515, après avoir « fait le long de la journée, merveilleusement bien son devoir, écrit Robert de la Marck, son beau-frère et estoit homme de bien et gentil compaignon, et feust domaige de sa mort » ; le corps du héros fut ramené dans l’église de Muret. Il laissait un fils, mort en 1552 ayant eu 2 filles, la princesse de Condé et la comtesse de la Rochefoucault (10).

 

Marie de Roye

Marie de Roye fille de Jean et de sa première femme, s’était mariée, en l’a vu en 1480 à Philippe, bâtard de Nevers, seigneur de Ronsoy, légitimé en novembre 1478 par Louis XI, gouverneur de Rethélois en 1480, issu de Jean de Bourgogne, comte de Nevers et de Rethélois, et d’une demoiselle de Ghistelle. Après la mort de sa femme, il se fit religieux franciscain et mourut fort âgé en 1522 au couvent de Bethleém, où il fut inhumé, près de Mézière. Le bâtard avait adopté pour un blason - un écartelé de Bourgogne moderne et de Flandre, brisé d’un filet d’argent mit en barre (11).

 

Françoise de Nevers

Une seule fille naquit de cette union, Françoise de Nevers, mariée à Philippe d’Halervyn, Hallrvin ou Halluin comme on prononçait, son cousin, gentilhomme d’origine flamande qui tirait son nom de la bourgade appelée en français Halluin, au nord de Lille, dont ses ancêtres étaient seigneurs depuis le 13 siècle. Cadet de famille venu en France comme prisonnier de guerre, Louis d’Halluin avait accepté les offres de Louis XI qui le prit à son service et le nomma capitaine de Montlhéry en 1480. Il devint gouverneur de Bethune en 1486, conseiller d’État, chambellan du roi, chevalier de Saint Michel, capitaine de Péronne (1486-1505), bailli et gouverneur de Péronne, Montdidier et Roye (1496-1518), capitaine de cinquante lances, ambassadeur à Venise et à Milan, gouverneur de Picardie en 1512 et se rendit acquéreur de la seigneurerie de Piennes en Flandre, voisine de Cassel, puis en 1498 de celle de Maignelay en Beauvaisis, dont il reconstruisit l’église et modernisa le vieux château.

François ler lui céda le comté de Guines en 1516. Brantôme parle de « M. de Pienne, lequel fut aussy un très sage et bon capitaine, de fort grande et ancienne maison, que le roy aimoit fort et qui le servist en tout voyage. Il fut gouverneur de Picardie, qu’il gouverna très sagement et sans reproche. Après qu’il fut mort, M. de Vendosme eut sa place, si on l’eut creu à la journée des Esperons (la bataille de Guinegate en 1513) ne fust pas arrivé ce qui arriva ; ce que scent bien reprocher le roy à tous, pourquoy ils ne l’avoient creu ; car il en avoit bien veu d’autres, et mesme ceste mémorable bataille de Fornoro » - nous disons Fornous, - en 1495, où il avait été l’un des « neuf preux » de Louis XII, vêtus comme lui pour détourner les coups de l’ennemi. Il mourut fort âgé au château de Maignelay le 12 décembre 1519.

On a conservé le récit des funérailles imposantes qui lui furent faites. Pendant trois semaines, ce fut un défilé continu des paroisses avoisinantes ; le curé et les habitants de Rollot se présentèrent un samedi et firent célébrer un service de « trois hautes messes, vigiles et commendaces ».

A la cérémonie solennelle, qui eut lieu le 2 janvier 1520, assistèrent quatre évêque, dont celui d’Amiens, qui était le fils du défunt, les religieux des Abbayes de Saint Martin aux Bois, de Saint Josse, de Saint-Just-en-Chaussée, les minimes, cordeliers, Jacobins et Augustins d’Amiens, les carmes de Montreuil, le clergé des huit paroisses qui appartenaient au seigneur (Coivrel, Crèvecoeur-le-Petit, Dampierre, Ferrières, Maignelay, Montigny, Raoyaucourt, Rollot), et trois cents chevaliers et gentilshommes de Picardie, accompagnés de 600 chevaux.

On célébra en ce jour 622 messes (12). De sa femme Jeanne de Ghistelle, dame d’Eskelbecq et de Ledinghin, Louis eût six enfants. Son fils aîné, Philippe d’Halluin, chevalier, seigneur de Pienne de Buggenhaut, de Basserode, de Saint Armand, de Maignelay, et de Royaucourt, reçut de lui ces terres en 1506. Capitaine et gouverneur de la ville de Béthune, lieutenant général de l’armée que Louis XII assembla en 1513 à Blanzy en Ternois, près d’Hesdin, il mourut avant 1519.

 

Antoine d’Halluin

Antoine d’Halluin, chevalier de l’ordre du roi, seigneur de Buggenhout et de Maignelay, grand louvetier de France, fils unique de Philippe, prit part à la plupart des guerres de son temps. Il reçut une arquebusade au travers du bras à l’assaut de la Bailleul le Mont, près du duc de Vendôme, en 1523. Commandant une compagnie de 50 hommes d’armes, il fut de ceux qui s’enfermèrent en 1537 dans Turin pour conserver cette place et, cette même année, il assura la garde d’Hesdin avec les seigneurs de Mailly et de Sarcus.

Lorsqu’il tomba peu après aux mains des Impériaux lors de la défaite que subit Claude d’Annebaut en ravitaillant Thérouanne, il put être échangé contre le sénéchal de Hainaut grâce au don que lui fit François ler de 5 000 livres tournois (environ 600 000 francs) pour l’aider à payer sa rançon. Le seigneur de Pienne prit encore part à la défense de Metz sous les ordres du duc de Guise en 1552 et fut tué en 1553 en soutenant l’assaut donné à Thérouanne par les troupes de Charles Quint.

Il avait épousé Louise de Crèvecoeur, veuve de Guillaume Gouffier, seigneur de Bonnivet, amiral de France, fille unique de François, seigneur de Crèvecoeur, et de Jeanne de Rubempré.

 

Charles d’Halluin

Antoine d’Halluin laissait six enfants Jean, doyen de l’église de Saint Quentin, abbé de Saint Prix en 1518, du Gard et de Saint Pierre de Chalon en 1552 ; Jacques, chevalier, seigneur de Piennes en Flandre, qui donna quittance en 1550 de ses gages de porte guidon de la compagnie du duc de Vendôme ; Charles, seigneur de Maignelay et de Rollot ; Louise, femme de Philibert de Mareilly, seigneur de Cypière, chevalier de l’ordre du roi, gouverneur de Charles IX, et dame de la maison de Catherine de Médicis, en 1566 ; Jeanne, fiancée au fils aîné du connétable de Montmorency avant d’épouser Florimond Robertit, baron d’Alluye, secrétaire d’État, gouverneur d’Orléans, Marguerite, mariée à Claude de Crevant, seigneur de Saint Rémy ; et Charlotte abbesse de Bertaucourt, près d’Amiens, dont subsiste le magnifique tombeau.

Charles se consacra, dès sa première jeunesse au service des armes comme tous les membres de sa famille. D’abord enseigne de la compagnie colonnelle du sieur de Châtillon, il commanda deux compagnies de gens de pied en Italie, puis deux cents chevau-légers, enfin une compagnie de trente lances, portée successivement à cinquante et à cent hommes d’armes, de 1568 à 1583 ; une quittance qu’il signa pour un quartier de ses gages en 1563 est scellé à ses armes (d’argent à trois lions de sable, couronnés, lampassé et armé d’or). Il fut blessé au siège de Metz en 1552, à la prise de Valence en Milanais, deux ans plus tard, d’une arquebusade à la jambe, et enfin en 1558 au siège de Calais, où il se trouvait à la tête de quatre compagnies de gens de pied, quand il surprit de nuit le château et le conserva en dépit des efforts des Anglais pour le reprendre.

Il épousa, le 18 janvier 1560, Anne Chabot, fille de Philippe, seigneur de Brion, amiral de France, et de Françoise de Longwy.

Après avoir embrassé quelque temps le parti protestant, sur l’ordre de Catherine de Médicis, si l’on en croit Thou, il abandonna les huguenots dès 1562, à la faveur d’une déclaration royale. Gentilhomme de la chambre en 1560, lieutenant général en Picardie en 1572, gouverneur de Metz en 1574, conseiller d’État de 1574 à 1583, chevalier de Saint Michel, capitaine et, gouverneur de Chauny, il avait obtenu en 1565 l’érection de sa terre de Maignelay en marquisat.

Henri III, qui l’appréciait fort, lui donna le collier du Saint Esprit, lors de la première promotion de cet ordre, le dernier jour de l’année 1578. Par lettres patentes signées à Paris au mois de mai 1587, le même roi après avoir rappelé les services militaires de celui qu’il voulait honorer, érigea en duché pairie le marquisat de Maignelay en y joignant les terres et seigneuries de Montigny, Coivrel, Le Plessis sous Fournival, Royaucourt, Godenvillers, Domfront, Tricot, Neufroy, Ravenel, Tronquoy en partie, vaux, Frestoy, Rollot - détaché du fief des Grandes Tournelles depuis la mort de Jean de Roye - et Fermiers en partie, sous le nom d’Halluin, pour ne pas laisser disparaître le nom de Maignelay, Henri III l’imposait au village de Tricot en le décorant du titre de marquisat, ce titre réservé au fils aîné de chaque duc avant de succéder à son père. Les lettres d’érection furent enregistrées au Parlement le 29 février 1588.

Ces honneurs furent de courte durée. Le nouveau duc devait survivre à ses 5 fils, tous enlevés de mort violente à son affection. Il mourut dans les premiers jours du mois d’octobre 1597 et fut enterré dans l’église d’Halluin. Sa veuve lui survécut jusqu’au 6 mars 1614.

 

Charles II d’Halluin

Antoine d’Halluin, marquis de Pienne, son fils aîné, reçut la mort à Blois, sur les bords de la Loire, le 4 mai 1581, d’un laquais du Baron de Livarot, dont-il venait de tuer le maître en duel, il avait 24 ans. Florimond, marquis de Maignelay, capitaine de cent hommes d’armes, colonel du régiment de Picardie et gouverneur de la Fère en 1589, après avoir suivi le parti ligueur, fut poignardé à la Fère, le 15 mai 1591, par Colas de la Noue et le lieutenant des gardes du duc de Mayenne, au moment où il allait remettre la ville à Henri IV pour éviter qu’elle ne fut occupé par les espagnols ; sa veuve éleva au dessus de sa sépulture à Halluin un beau mausolée dont il subsiste quelques fragments. Robert, seigneur de Ronsoy, mourut à la bataille de Coutras en 1587, sans laisser d’enfants de Diane du Halde sa femme, qu’il avait épousé quelques mois plus tôt. Léonor, seigneur de Ronsoy après son frère, et Charles, comte de Dinan, périrent tous deux, le 30 juillet 1593, au cours d’une malheureuse tentative pour secourir Doullens. Le duc d’Halluin avait aussi cinq filles. Suzanne, qui épousa à Maignelay, le 19 septembre 1579, Nicolas de Margival, chevalier de l’ordre du roi, gentilhomme de sa chambre, chambellan du duc d’Anjou, seigneurs des Autels, Mainbressy, Mainbresson, Bois Cardonnet en Thiérache, Margival en pays de soissonnais, Parvillers en la prévoté de Roye, second fils de Nicolas de saint Bausson, dit de Margival, seigneur de Salency et de Françoise de Bernes ; Jeanne, dame d’honneur de Catherine de Médicis en 1585 et épouse de Philippe d’Angennes, seigneur du Fargis, tué au siège de Laval en 1590 ; Louise, femme de François de Brouilly, seigneur de Mesnillers, tué à la Bataille de Senlis en 1589; Isabelle, alliée en 1588 à Arnaud de Villeneuve, marquis des Arcs, gentilhomme de la chambre du roi, gouverneur de Draguignan; et Anne, morte en 1607, première femme de Gilles Brulart, chevalier, seigneur de Genlis, Crosnes, Marizelle, Bichancourt Bac - Arblincourt et autres lieux, secrétaire d’État, bailli et gouverneur de Chauny.

Florimond d’Halluin, qui était d’après l’Estoile « un des plus beaux et adroits gentilhomme de France », laissait de son union contractée en 1588 avec Claude Marguerite de Gondi, une fille du maréchal duc de Retz et de Catherine de Clermont, un fils et une fille en bas âge, sous la tutelle d’Adrien de Boufflers, bailli de Beauvais, et du procureur général au Parlement de Paris.

Charles d’Halluin, marquis de Maignelay duc d’Halluin pendant un an sans avoir été reçu, était né le 22 février 1591, probablement à la Fère. Il mourut à Paris le 31 octobre 1598, « avec un indicible regret de la mère et de tous les siens, écrit Pierre de l’Estoile, comme estant demeuré seul de sa maison ». Une tradition locale, que rien n’appuie, veut qu’il soit tombé de voiture, par une portière mal fermée, sur la route d’Halluin à Montdidier.

 

Anne d’Halluin

Une petite fille demeurait la seule héritière de sa famille. Ses tuteurs louèrent, le 18 octobre 1599, la seigneurerie de Rollot, dont l’admodiateur ou fermier sortant était l’avocat François Bosquillon, à un notaire de Montdidier, Nicolas Ducastel, qui offrait un revenu net de 500 écus, en plus de nombreuses charges qu’ils assumaient. Anne, dame d’Halluin et de Maignelay, malingre, presque infirme, atteignait à peine ses 15 ans quand on fit porter son riche héritage à l’un de ces grands seigneurs aventurier si nombreux au XVIIe siècle. Le contrat fut signé au Louvre le 14 août 1606, mais l’âge de la fiancée obligea de retarder la cérémonie du mariage jusqu’en 1611.

« Bien fait, fort agréable, avec beaucoup d’esprit », suivant Tallemant, Henry de Nogaret de la Valette, dit de Foix, comte de Candale, Captal de Buch, créé duc d’Halluin et pair de France par lettre du mois de février 1611, en faveur de son union, pour prendre rang en 15’87, premier gentilhomme de la chambre du roi, chevalier de ses ordres en 1633, gouverneur d’Agenois et de saintonge, était fils aîné de Jean-Louis de Nogaret de la Valette, duc d’Eperon, amiral de France, un des mignons d’Henri III qui le combla de faveurs, et de Marguerite de Foix. « Obligé, rapporte le Père Anselme, par quelques mécontentements » de passer en Italie, il se battit sur les galères de Florence dans la « Natolie » et, en 1614 revint prendre en France le parti des princes contre la régente.

Bien que devenu duc de Candale et pair de France en 1624, il alla chercher d’autres aventures en Hollande et ne rentra qu’après la déclaration de guerre pour se battre aux côtés de son frère, le cardinal de la Valette, que la pourpre n’empêcha pas de se révéler un des meilleurs généraux de son temps. Il mourut à Casal en 1649 âgé de 48 ans, en laissant lui aussi la réputation d’un « grand capitaine ».

Une visite médicale des époux avait fait déclarer leur mariage nul en 1618, comme n’ayant pas été consommé.

Rendue à la liberté, Anne d’Halluin contracta une seconde alliance, dès le 29 novembre 1620, avec un tout jeune homme, magnifique officier, qui eut une carrière plus régulière, Charles de Schomberg, comte de Nanteuil-le-Haudouin et de Durval, marquis d’Épinay, « un beau brun, écrit Victor Cousin, fort élégant, doux, galant près des dames, faisant des vers et chantant à merveille », de 10 ans plus jeune qu’elle. Lorsque son père, le premier maréchal du nom, reçut le collier du saint Esprit, il affirma que sa famille, d’origine sasconne était dès le XIVe siècle « une des quatre colonnes de la noblesse de Misnie ». Gaspard de Schomberg, grand-père de Charles, était venu d’Allemagne faire ses études à Angers et, après avoir soutenu la cause des Huguenots, il n’avait pas tardé à écouter les propositions de Charles IX, qui avait été frappé de ses talents militaires, de son habilité et de sa séduction. Élevé auprès de Louis XIII en qualité d’Enfant d’honneur, Charles fit toutes les campagnes de ce règne et ses services lui valurent le collier des ordres, le gouvernement du Languedoc et le bâton de maréchal en 1637, la charge de colonel général des suisses en 1647 et la vice royauté de Catalogne en 1648. Le roi lui avait délivré, le 9 novembre 1620, des lettres qui confirmaient le titre de duché pairie sur la terre de Maignelay et autres aux environs. La duchesse d’Halluin assista à Nantes, six ans plus tard, au mariage de Gaston d’Orléans avec Mademoiselle de Montpensier ; 1a duchesse de Rohan, son ancienne rivale dans le coeur du beau Candale, voulant passer devant elle, des paroles aigres elles en virent « aux poussades et égratignements »; la question de préséance fut sur l’heure jugée en faveur d’Anne, en raison de sa pairie plus ancienne. En 1636, les espagnols ayant forcés les places de Corbie et de Roye, déferlaient jusqu’à Halluin, ne rencontrant de résistance que devant Montdidier. La marquise de Maignelay, mandataire du Maréchal, convoqua chez le notaire du duché les fermiers de Rollot et environs qui se déclarèrent satisfaits d’apprendre la remise des redevances pendant deux ans et, « dans leurs remerciements, unirent le nom de la marquise à ceux de sa fille et de son gendre ».

Anne d’Halluin mourut à Nanteuil le Haudouin, le 5 novembre 1641, de la petite vérole ; son corps fut rapporté dans la chapelle du couvent des capucines au faubourg Saint Honoré à Paris et son coeur aux carmélites de la rue Chapon, deux monastères qu’elle avait comblés de ses libéralités. La pieuse et charitable duchesse avait aussi contribué à la fondation du couvent des capucines de Montdidier en 1620. Son mari se remaria cinq ans plus tard, à Marie d’Hautefort, dame d’atours de la reine, célébrée par Scarron dans ses vers, et mourut de la pierre, le 6 juin 1656, sans laisser de postérité, son corps fut déposé dans l’église du prieuré de Nanteuil-le-Haudouin, à côté de celui de son père. Quant à Marguerite de Gondi, marquise de Maignelay, qui était une ancienne fille d’honneur de Catherine de Médicis, demeurée seule après la mort de tous les siens, elle termina une vie exemplaire le 26 août 1650 à Paris, âgée de 80 ans, en distribuant ses biens entre les pauvres et les communautés religieuse elle fut inhumée aux capucines. En annonçant sa mort, la gazette de France rappelait qu’elle consacrait 35 000 livres en charités sur ses 40 000 livres de rentes (13)

 

Florimond de Margival

Le duc et la duchesse d’Halluin s’étaient fait donation mutuelle de tous leurs biens par acte du 26 juin 1633. En raison sans doute du remariage du maréchal, une partie de la fortune d’Anne revint à sa mère et à ses parents. C’est ainsi que Florimond de Margival filleul de son mari, obtint de Mme de Maignelay l’abandon de ses droits à la succession sous réserves d’une rente de 7 100 livres en échange d’un capital de 112 500 livres à la condition que son fil relèverait le nom et les armes d’Halluin (7 novembre 1646) ; mais le chef de la branche d’Estelbecq devait intenter un procès pour s’opposer à la réalisation de cet engagement. De son mariage avec Nicolas de Margival, Suzanne d’Halluin avait eu plusieurs enfants. Charles, seigneur de Margival et des autels, décédé en 1626, Florimond, chevalier seigneur des Autels, d’Halluin, Marquis de Maignelay, époux de Jeanne de Blécourt, Anne Elisabeth, mariée en 1598 à Antoine de Longueval, chevalier, seigneur de Thenelle Fourdrinoy, vicomte de Regny, etc., chambellan et gentilhomme ordinaire de la chambre de Henri IV ; Louise, abbesse de Montreuil en 1614, décédé en 1650; peut être Louis et Jean, seigneurs des Autels.

Son fils Florimond Charles Armand et Louis Henri étant morts avant de se marier, Florimond de Margival laissa sa fille pour héritière.

 

Anne Marguerite de Margival

Anne Marguerite de Margival, comtesse de Clermont Lodève, dame des Autels, Mainbressy et Mainbresson, hérita donc de l’ancien duché d’Halluin, en même temps que de lourdes dettes ; deux actes de baptême lui donnent les titres de dame d’Halluin et de Maignelay en 1662 et en 1663. Les créanciers, qui avaient opéré une saisie réelle en 1643, la poursuivirent avec tant de rigueur que le domaine saisi de nouveau en 1667, pour assurer le douaire de sa mère, faillit par deux fois lui échapper ; Mlle de Fontanges, maîtresse de Louis XIV en négocia l’acquisition par l’intermédiaire de Louvois, au prix de 750 000 livres, mais sa mort arrêta les pourparlers en 1681, il manqua encore d’être adjugé à un maître des requêtes cinq ans plus tard, pour 375 000 livres. Un bail judiciaire l’avait affermé en 1682 moyennant un loyer de 18 000 livres

Ancienne fille d’honneur de la reine Anne Marguerite avait épousé, le 29 avril 1662, un grand seigneur du midi, Louis de Guilhem Caraman de Foix, comte de Clermont Lodève, marquis de Saissac, vicomte de Lautrec, né le 27 juin 1630, deuxième fils et héritier de Gabriel-Aldonce, comte de Clermont, et de Marie Madeleine du Prat de Nantouillet. C’était sans doute une « beauté assez grasse » si l’on en croit Benserade qui se serait adressé à elle dans un ballet donné à la cour, lui disant :
Ce n’est pas sans raison qu’on peut dire de vous que vous représentez une famille entière.

Quelque querelle conjugale la fit se retirer au couvent de la Conception de la rue Saint-Honoré. Le comte de Saissac, son beau-frère en était apparemment la cause ; au cours de l’instruction judiciaire sur l’affaire des poisons, en 1679, un des complices de la Voisin, nommé Lesage, avoua que Saissac lui ayant demandé les moyens de se défaire de son aîné et de conserver l’amitié de sa belle-soeur, il lui avait suggéré de faire coudre par un valet, avec du fil noir, un « os de mort » dans une manche de chemise, et en avait reçu une bague de diamant valant 4 à 500 livres, mais il la lui rendit quand la recette apparut inefficace. Le comte de Clermont ne mourut en effet que le 12 novembre 1692 au château de Venez près de Castres. Sa veuve lui survécut jusqu’en 1703, laissant pour héritier le marquis de Longeval (14).

 

Antoine de Longueval

Antoine de Longueval, l’époux d’Elisabeth de Margival, était le fils aîné de Louis, seigneur de Thenelles auprès de Ribemont et de Walburge de Wissocq, sa première femme. Onze enfants naquirent de son union ; son troisième fils, Charles, chevalier, seigneur de la Brosse, Noircourt et autres lieux, colonel d’un régiment de son nom de 1630 à 1640, maréchal de camp, marié à Geneviève Chanteraau Lefèvre, est le père de Charles, marquis de Longueval, seigneur de Chevreux, Maignelay Halluin, et... que l’on trouve page de la grande écurie du roi en 1676.

Le 6 août 1689, ce dernier épousa Armande Henriette Gedouyn, qui lui apporta le château de Chevreux aux portes de Soissons, fille unique de Charles Gedouyn, conseiller maître d’hôtel du roi, demeurant à Soissons, et de Madeleine de Tournay, elle mourut le 6 juin 1747, en léguant une rente perpétuelle de 200 livres au curé cardinal de Saint Jacques dans l’Abbaye de Saint Jean des Vignes, afin « qu’il offrit chaque semaine le saint sacrement de l’autel pour le rafraîchissement de son âme ».

 

Charles de Longueval

Charles de Longueval hérita de l’ancien duché, non sans de longues contestations contre tous ses parents, en invoquant la coutume de Montdidier qui donnait les fiefs au plus prochain collatéral mâle en l’absence de frères et de soeurs. Sa vie se consuma dès lors à lutter contre ses créanciers. Les chicanes qu’il ne cessa de soulever à leur endroit n’eurent d’autre résultat que de laisser une succession plus embrouillée que celle qu’il avait reçue. Il mourut au château d’Halluin le 21 janvier 1725.

 

Charles II de Longueval

De ses deux filles, l’une acheva sa vie à Chevreux sans s’être mariée et l’autre prit le voile des bénédictines à l’Abbaye de Notre Dame de Soissons. Son fils, Charles, marquis de Longueval, seigneur de Chevreux, Brignon, Maignelay, etc. servait depuis quelque temps dans les mousquetaires, quand cet héritage embarrassé l’obligea à quitter l’armée. Il avait un caractère plus pacifique et sans doute plus habile. Le domaine étant toujours saisi, il parvint à en faire endosser le bail à ses créanciers pour un fermage de 32 à 33 000 livre ! Sa patiente bonté avait laissé s’accumuler un arriéré de près de 30 000 livres dans le paiement des cens. Il convoqua au château tous les débiteurs, qui arrivèrent la mort dans l’âme... pour s’entendre dire qu’une remise des quatre cinquièmes était faite à tous ceux qui se trouvaient dans une situation médiocre, des deux cinquièmes aux gens à leur aise et du tout aux pauvres. On imagine le concert d’unanimes regrets qui le suivit lorsqu’il quitte en 1743 Maignelay Halluin après l’avoir laissé à son principal créancier, le duc d’Estissac, en échange d’une somme de 400 000 livres, les autres avaient accepté une honorable transaction par l’intermédiaire du duc.

Charles de Longueval mourut au mois de juin 1771, sans s’être marié, s’étant défait de la plus grande partie de son patrimoine (15).

 

Louis Armand François de la Rochefoucault

Le nouveau seigneur de Rollot était le fils aîné de Charles de Roye de la Rochefoucault, comte de Blanzac, lieutenant général, gouverneur de Bapeaume, et de Marie Henriette d’Aloigny de Rochefort, veuve du marquis de Nangis. Il appartenait à la branche formée par la seconde union du comte François de la Rochefoucauld massacré dans la nuit de la saint Barthélémy et de Charlotte de Roye. Son acquisition permit donc à la seigneurie de Rollot de demeurer jusqu’à la révolution dans la lignée de Pierre de la Tournelle, soit pendant six cent cinquante ans. Né le 22 septembre 1695 et connu d’abord sous le titre de comte de Marthon, puis de comte de Roucy en 1721, Louis Armand François fut nommé le 2 décembre 1713, colonel lieutenant du régiment d’infanterie de Roucy et conserva ce commandement jusqu’en 1735, qu’il reçut l’écharpe de brigadier, après avoir servi aux sièges de Fontarabie, de saint Sébastien et d’Urgell en 1719, à celui de Kehl en 1733, au combat d’Ettlingen et à la prise de Philippsbourg en 1734 la mort de son père lui avait fait obtenir le gouvernement de Bapaume en 1732. Louis XV le créa duc d’Estissac par brevet du 24 octobre 1737, duc héréditaire et pair de France en août 1758, et lui remit le collier de ses ordres le 2 février 1749, de nouvelles lettres confirmèrent au mois de janvier 1767 l’érection du marquisat de 1565 sous le nom de Maignelay. Louis Armand, devenu à la disparition de son beau-père en 1742, chef de sa maison, en même temps que grand maître de la garde robe, abandonna le nom de Roye que ses ancêtres avaient relevé. Il avait épousé en 1737 sa cousine, Marie de la Rochefoucauld, dite Mademoiselle de la Roche Guyon, seconde fille d’Alexandre, duc de la Roche Guyon et d’Elisabeth Marie Louise Nicole de Bermond du Caylar de Thoiras d’Amboise ; c’était l’arrière petite fille du célèbre auteur des Maximes.

Il mourut à Paris le 28 mai 1783, et sa veuve en 1789, son fils devait hériter de son goût très vif pour l’agriculture.

 

François Alexandre de la Roche Foucault

Le duc d’Estissac et sa femme ont laissé la réputation de « parents vertueux jusque la sévérité et d’une grande élévation de sentiments ». Ils eurent deux fils, François Alexandre Frédéric, qui suit, et Armand Alexandre Roger, comte de Durval, mestre de camp de Royal Champagne cavalerie (1748-1774) dont la veuve, Aline Alexandrine de la Rochefoucauld de Surgères devait être décapitée à Paris le 8 mars 1794, et deux filles, Emilie Alexandrine (1742-1814), mariée en 1761 à Anne Louis Alexandre de Montmorency, prince de Robecq, lieutenant général, commandant en Chef en Flandre, et Adélaïde Martine, née en 1745, morte jeune.

Le dernier seigneur de Rollot est une des figures les plus marquantes et les plus attachantes de cette époque. Né au château de la Roche Guyon, non loin de Mantes, le 11 janvier 1747, il fit ses études à la Flèche, et passa ses jeunes années à la cour où à son régiment; Louis XV le créa duc de Liancourt par brevet de 1765. À vingt trois ans (1770), il devint colonel des dragons de la Rochefoucauld, aujourd’hui de l’arme, qu’il commanda pendant dix huit ans. Brigadier en 1781, il devint maréchal de camp en 1788, au moment où la répartition des troupes en divisions militaires lui fit donner le commandement d’une brigade de deux régiments d’infanterie (Monsieur et Lorraine), dans la neuvième division, en Haute Alsace. Louis XVI, qui en avait fait son ami, lui avait donné la charge de grand maître de la garde robe à la mort du duc d’Estissac en 1783 et le collier du Saint Esprit, l’année suivante. Plusieurs voyages à l’étranger surtout en Angleterre, inspirèrent au jeune officier le désir d’être utile à son pays et à l’humanité. La philosophie, et la philanthropie étaient alors à la mode, mais ce grand seigneur sut mettre ses idées en pratique, non sans quelques déboires. En 1788, il établit dans une de ses fermes de son domaine de Liancourt, près de Clermont en Bauvaisis, le premier embryon d’une école d’Arts et Métiers destinée à une vingtaine de pupilles de ses dragons. En même temps, il essayait les méthodes anglaises de culture, créait une exploitation modèle et une filature de coton ; il s’efforçait de venir en aide aux ouvriers et aux indigents, organisait des ateliers de travail pour enrayer la mendicité et ouvrait des hôpitaux ; tous ses voisins étaient assurés de trouver auprès de lui conseil ou assistance.

Il tint à connaître personnellement ses fermiers de Maignelay et des environs, et leur consentit un nouveau bail sans augmentation, et l’on a déjà vu combien fut considérable la hausse des fermages à la fin de l’ancien régime, à la charge qu’ils fissent tous les charrois nécessités par la remise en état de leurs terres.

Homme du monde aussi bien qu’agronome et philosophe, sans négliger ses devoirs militaires, du reste peu absorbants : quatre mois de services par an, - il savait attirer dans son hôtel parisien de la rue de Varennes (aujourd’hui n. 58), suivant l’expression de son fils, « les hommes les plus distingués dans les sciences et les lettres, les étrangers les plus illustres et les hommes d’état les plus indépendants ». Tant d’initiatives diverses se devaient d’être soutenues d’une sérieuse économie. Le duc de Liancourt ne ménagea pas les plus modestes profits ; on voit qu’il se fit pourvoir en 1785 de la charge de notaire royal pour le marquisat de Maignelay. I1 avait épousé en 1764 une « femme de devoir, d’une grande énergie, en même temps que d’une bonté et d’une charité extrême ».

« Cette maison de la Rochefoucauld est une tribu d’Israël, pouvait écrire Mme du Beffand à Walpole, quatre ans plus tard ; ce sont d’honnêtes et bonnes gens... il n’y a pas de morgue dans toute cette famille, il y a du bon sens, de la simplicité » Félicie Sophie de Lannion, morte en 1830, fille unique de Hyacinthe Gaétan comte de Lannion, chevalier des ordres du roi, lieutenant général, et de Marie Charlotte Félicité de Clermont Tonnerre, marquise de Crèvecœur. Quatre enfants naquirent de son union, dont deux ont laissé une brillante postérité ; François Armand Frédéric comte de la Rochefoucauld né en 1765, lieutenant et capitaine aux dragons de la Rochefoucauld, major en second aux chasseurs à cheval de Champagne en 1788, lieutenant colonel en 1791, marié en émigration à Marie Françoise de Tott, veuve du comte de Kermenguy, maire de Liancourt, député de l’Oise (1809-1827) duc d’Estissac en 1814, maréchal de camp en 1816, duc de la Rochefoucauld et pair de France en 1827, commandeur de la légion d’honneur, décédé en 1848, auteur de souvenirs du 10 août 1792 et de l’armée de Bourbon publiés en 1929 et de voyages en France 1781 et 1783, parus en 1933 dans la collection de la société de l’histoire de France ; Alexandre François, comte de la Rochefoucauld, homme de lettres, sous-préfet, député du cher, né en 1779, décédé en 1863, époux de Marie Caroline Pétronnille Schall de Bell (qui lui donna une fille) enfin Aglaée Émilie Joséphine, née en 1774, morte en 1789 (16).

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Le domaine foncier de la seigneurie de Rollot se composait d’une ferme située aux pieds de l’ancienne motte féodale au nord de l’église, de 130 mines de terre et 10 de pré, d’une petite maison avec 50 verges de jardin, d’un moulin à vent bâti au nord est du terroir sur 5 quartiers de terrain, enfin de 235 mines de bois, soit un total de 575 mines environ ou 145 hectares, dont quelques parcelles débordaient sur les terroirs voisins de Vaux et de Mortemer (17).

Les sentences du lieutenant de la justice, comme celles du bailli de Piennes, étaient sujets à appel devant le baillage royal de Montdidier, découpé en 1435 dans l’immense baillage de Vermandois, devant le présidial de Beauvais, créé en 1851, et le parlement de Paris. Au temps du duché d’Halluin, les appels se portaient directement au Parlement, suivant le privilège des pairies.

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